L’AFDCL vous prie de bien vouloir trouver ci-après l’hommage à Jean-Claude Douence rendu par le Professeur Bertrand Faure à Boulogne-sur-Mer le 23 novembre 2024.
HOMMAGE A JEAN-CLAUDE DOUENCE
Boulogne-sur-Mer le 23 novembre 2024
Bertrand Faure
Professeur à l’Université de Nantes
Jean-Claude Douence nous a quitté au mois de mars dernier. Notre association à laquelle il a appartenu depuis son origine et tant apporté entend lui rendre hommage. Cet hommage sera inspiré par la plus admirative et affectueuse reconnaissante que nous éprouvons tous à son égard. Et je serais incapable de concevoir les choses autrement : cet hommage sera naturellement un éloge. C’est cependant avec de réels scrupules que j’en assure la présentation qui m’a été confiée d’autant que je me vois obligé de réduire à quelques traits de présentation, peut-être pas logiquement sélectionnés et organisés et trop brièvement évoqués sans doute, l’œuvre et la carrière de Jean-Claude Douence. Je prendrai seulement le parti de tenter de pénétrer de l’intérieur l’œuvre que représente la somme considérable de ses recherches au bout de quarante années de carrière pour dégager les logiques maîtresses de sa doctrine. Je m’essayerai donc à envisager ce qu’on pourrait appeler le droit des collectivités locales de Jean-Claude Douence que le recul des années nous aide à faire ressortir.
Rappelons succinctement, au moins pour le présenter à ceux qui l’ont moins connu, qu’il fut étudiant de la faculté de droit et de l’IEP de Bordeaux, rédigea sa thèse de doctorat titrée « Recherches sur le pouvoir réglementaire de l’administration » sous la direction du Doyen Auby en 1965. L’agrégation obtenue en 1968 (classé 2ème) le conduit à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth jusqu’en 1974, année à partir de quelle il prend ses fonctions à la Faculté de droit, d’économie et de gestion de Pau où il trouvera un environnement matériel et humain de travail exceptionnel et qu’il ne quittera plus jusqu’à son départ en retraite en 2004. Il aura exercé les responsabilités de premier vice-président de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et, par deux fois, de doyen de la faculté de droit, d’économie et de gestion. Il fit autorité au sein des deux sociétés savantes qui se partagent le champ de la recherche en droit des collectivités locales, le Groupement de recherches sur l’Administration Locale en Europe (GRALE) et l’Association Française de Droit des Collectivités Locales (AFDCL) ayant été membre de leur conseil d’administration. Le Centre d’études des collectivités locales (CECL) de la faculté de droit de Pau qu’il dirigea lui permit de mener un certain nombre de recherches collectives, bénéficiant d’une concentration de chercheurs autour desquels se Centre s’était constitué lui assurant une activité prospère. Je tiens particulièrement à tous les mentionner : Andrée Coudevylle, Frédéric Lafargue, Michel Lagarde, Guy Melleray, Christiane Restier-Melleray, Françoise Sempé, Jacqueline Rougié, d’autres se sont ajoutés par la suite. Cette équipe a permis la réalisation de travaux de grande envergure : sur « La nouvelle décentralisation » (1983) et « Les nouvelles compétences locales » (1985) (F.Moderne dir.), « L’action économique locale » (1988), les annotations périodiques du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) chez Dalloz ; sans oublier la chronique annuelle de jurisprudence de l’Annuaire des collectivités locales dont la coordination est aujourd’hui reprise par Maylis Douence.
La conversion de Jean-Claude Douence au droit des collectivités locales ne fut pas absolument immédiate. Mais ses recherches de début de carrière sur la théorie générale du droit administratif, de ses institutions, de leurs normes et de leur application, et l’orientation qu’il leur avait donnée, l’y préparaient. Il suffit pour s’en convaincre de relire ses vastes études sur « Le rattachement des établissements publics à une collectivité territoriale » (AJDA 1971) et sur « La spécialité des personnes publiques en droit administratif français » (RDP 1972). Maylis m’avait, à cet égard, signalé le tournant qu’avait représenté, pour ses recherches, un rapport qu’il avait rédigé à la faculté de Beyrouth sur « Le rôle des municipalités libanaises en matière de développement » en 1975, mais difficile d’accès en ce qu’il ne fût jamais publié.
Je voudrais d’abord m’arrêter sur sa démarche scientifique, forgée par et pour la connaissance du droit des collectivités locales qui est une discipline qui réclame naturellement la confrontation de la règle de droit aux données du terrain. Scientifiquement, il s’est ainsi toujours placé devant une réalité à la fois de type normatif et de type factuel qui sont comme les deux pôles opposés de la connaissance qu’il faut faire communiquer. Il tenait ainsi les deux bouts de la chaîne explicative : il part du phénomène juridique mais se refuse à y voir une pure normativité, acceptant, et même recherchant, les réalités administratives et sociales dont les règles de droit sont tout à la fois à l’origine et à l’aboutissement. Ce qu’on appellera bien volontiers un véritable positivisme juridique ; contrairement à ceux qui s’en réclament au nom de la pureté de la science juridique et ne décrivent que ce qui doit être au seul vu de l’énoncé de la règle. Le droit des collectivités locales permet, au contraire, de mieux accéder à une connaissance globale qui ne se réduit pas à celle d’un corps de règles, ni à l’inverse à une physiologie du pur fait comme s’y abandonnerait un spécialiste des politiques publiques. Il saisissait ainsi les problèmes dans leur richesse. Prenons ce problème parce qu’il peut être le plus simple, en tous cas le plus évident : Jean-Claude Douence aura montré très précisément, jurisprudence à l’appui, et à l’encontre d’une doctrine administrativiste plutôt négative sur la question, comment la clause générale de compétence de l’assemblée délibérante de la collectivité est une règle de droit qui n’est ni vide, ni inefficace, croyant bien ici à l’importance de la norme au regard du profit que peut en tirer la population locale (jurisprudence sur la socialisme municipal entre autres). Et aucune autre position doctrinale, quand bien même relèverait-elle des plus hautes autorités universitaires, ne pourrait effacer ni la norme, ni la réalité sociale qui découle de son application. Et les positions de bien des manuels de droit administratif mériteraient de recevoir la correction des données observées. On relira encore avec grand bonheur et profit son étude approfondie rédigée pour les deuxièmes entretiens de la Caisse des Dépôts en 1999 (« Réflexions sur la vocation des collectivités locales à agir dans l’intérêt local », Ed. de l’Aube, p.317).
Personne ne pourra jamais aussi bien rendre compte que lui de la dimension sociale du droit administratif avec le sentiment du positif et du négatif, de l’opportun et de l’inopportun, du juste et de l’injuste. Il était sans doute le plus rigoureux des techniciens du droit, mais sans jamais rester enfermé dans une technique juridique qui refuserait l’étude la vie sociale. Et s’il pouvait aborder avec le même niveau d’approfondissement toutes les têtes de chapitres du droit des collectivités locales (urbanisme, contrôle de légalité, outre-mer…), son attention la plus constante s’était portée sur l’étude des services publics locaux, et notamment du principe d’égalité des usagers devant ces services et la validité des préférences tarifaires pratiquées au profit de certain d’entre eux, notamment du fait de leur lien particulier avec la collectivité organisatrice. Il s’agissait, au fond, d’une théorie juridique de la solidarité locale. C’est certainement ici qu’il pouvait rendre le mieux compte que la science juridique est vivante parce qu’elle n’est qu’un auxiliaire de la société. Sa démarche était positiviste en ce sens qu’il fallait toujours juger l’arbre à ses fruits, mais procédait d’un positivisme qui suivait une direction ; il s’agissait d’un positivisme critique – qui ne veut pas dire négatif chez lui – et solidariste, soucieux du bien social, et qu’il puisait sans doute à la profondeur de sa foi. Et s’il pouvait se passionner pour les autres têtes de chapitre du droit des collectivités, c’était parce que la fin ne pouvait aller sans les moyens et que la liberté locale est encore la meilleure condition pour que s’épanouissent le développement et la solidarité locales. En ce sens, ses recherches prennent la dimension d’un vrai système.
Pour tout résumer, le droit des collectivités locales n’était pas pour lui une chose, un objet mais une finalité. Il ne s’est d’ailleurs jamais attardé dans de veines querelles sur l’autonomie de la discipline – sachant trop bien qu’elle ne fait qu’un avec le droit administratif qui est sa synthèse supérieure – car il trouvait plus fécond de mettre l’accent sur sa finalité, c’est-à-dire l’intérêt public local, ou la « vocation générale » des collectivités à servir cet intérêt, pièces maîtresses de ses recherches. Celles-ci étaient ainsi nourries de ces expressions opératoires, prêtes à servir d’instrument de mesure sur la capacité des règles à satisfaire cette fonction.
Voilà pourquoi Jean-Claude Douence aura été un témoin privilégié d’un âge d’or du droit des collectivités locales qu’a connu la fin du XXème siècle et qui correspondait à une émancipation des collectivités par le développement sans pareil de leur action, le relâchement de la tutelle s’exerçant sur cette action et la progression de leurs ressources. Il avait toute la culture juridique et la curiosité poussée jusqu’à l’apprentissage des détails pour rendre compte de cet âge d’or qui est celui du perfectionnement du droit s’appliquant à ces collectivités (développement de la planification régionale et de l’action économique locale, perfectionnement des modes d’aménagement des services publics et des règles d’égalité des usagers devant eux, développement des bases constitutionnelles de la matière, évolution du contrôle sur les actes des collectivités…). Sur tous ces problèmes il aura donné des vues particulièrement aigües et fourni des recherches extrêmement nourrissantes et personnelles qui le qualifient comme un grand auteur. Et, son ancrage dans la réalité sociale l’éloignait de bien des réflexions menées à la diable par une école constitutionnaliste dominante à l’époque, particulièrement agissante du côté de Pau, obnubilée à faire rentrer des ronds dans des carrés (des collectivités locales différentes des collectivités territoriales, négation du pouvoir réglementaire local…). Jean-Claude Douence s’est toujours tenu à l’écart de ces entreprises de purification scientifique.
C’est qu’il faut se replacer dans le contexte de l’époque : cet âge d’or du droit des collectivités locales correspondait également à un âge d’or de la doctrine qui en avait fait un domaine d’étude privilégié. C’était « le bon temps » où se manifestait une curiosité de ces temps nouveaux et où les auteurs, qui étaient tous des grands auteurs, s’efforçaient de faire jaillir la lumière sur tout ce qui se présentait de neuf : le principe de libre administration, la nouvelle tutelle de l’Etat, les nouvelles régions, la soi-disant disparition de la notion d’affaires locales… François Luchaire, Jacques Moreau, Franck Moderne, Jean-Marie Auby, Louis Favoreu, tous disparus aujourd’hui…
Jean-Claude Douence aura aussi connu le déclin de cet âge d’or du droit des collectivités locales, son amorce tout au moins, avec les premiers éléments qui en fournissaient le diagnostic. Allaient en ce sens, ses études sur la recentralisation de l’action économique locale par la règlementation nationale (1988), la banalisation des contrats de concession de service public, relégués comme simple variété de marchés publics, dont ne s’accommodent ni la liberté d’administration locale ni la bonne organisation du service public (1995) et, plus dernièrement, ces nouvelles collectivités locales dépourvues de clause générale de compétence (2015). Ces analyses portaient déjà l’empreinte de la période de désillusion que nous vivons. On pensait que la décentralisation changerait notre Etat et c’est notre Etat qui change la décentralisation.
On pourrait saisir finalement l’œuvre de Jean-Claude Douence dans la double perspective de l’école de la puissance publique et du service public. Bien entendu, il ne s’agit de ma part que d’une reconstitution a posteriori de la cohérence interne de ses recherches, d’un clin d’œil, car, au fond, son œuvre ne s’abandonne à aucun auteur. Je doute même qu’il soit possible de parler d’influence dans son cas tant sa doctrine était son bien propre. La filiation ici suggérée sur ses orientations scientifiques ressemble à une construction tentée après coup et renferme certainement la part d’illusions que j’entretiens moi-même sur ces rapprochements. Ces rapprochements procèdent, en effet, de la double caricature consistant à amalgamer l’œuvre de Jean-Claude Douence à la continuation de celle de Hauriou et Duguit d’une part et l’œuvre de Hauriou et Duguit à ce que je suis capable d’en dire aujourd’hui, d’autre part. Mais il est accessoirement bon de rappeler quand on en trouve l’occasion que le sud-ouest est un berceau du droit public.
La thèse de Jean-Claude Douence sur le pouvoir réglementaire de l’administration se rattache à Hauriou par le thème de la puissance publique et de ses manifestations. Non pas seulement parce que s’intéresser au pouvoir réglementaire revient nécessairement à évoquer la puissance publique, constatation d’une bien pauvre évidence. Mais plus précisément parce que l’orientation de la réflexion des deux auteurs sur le développement du pouvoir réglementaire joue dans le même sens pour considérer, avec la même lucidité pratique, que le pouvoir réglementaire ne peut rester inclus dans la notion d’exécution des lois parce qu’il est inhérent à la vie des institutions, à leur gouvernabilité, et se propage à la mesure de leurs besoins. Autrement dit la production réglementaire est peu contrôlable parce qu’on pourra toujours couler du réglementaire hors du cadre de la loi vu que sa raison explicative revient plus profondément à l’institution et à ses besoins d’organisation et de fonctionnement. Le rapprochement entre les deux auteurs est peut-être fabriqué, il ne paraît pas moins s’imposer. Et il était visionnaire de soutenir en 1965 que le droit constitutionnel de la 5ème République en formation qui marquait précisément une certaine revanche du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif ne pouvait brider cette réalité. Au contraire, il en était même l’expression d’ailleurs, notamment avec la consécration d’un pouvoir réglementaire autonome du gouvernement (art. 37 C.).
Et, abordant la question du pouvoir réglementaire dès sa thèse, Jean-Claude Douence ne la laissera pas dormir pour la reprendre lorsqu’il s’agira de comprendre le pouvoir qui, pour les collectivités locales, sera susceptible de découler de leurs bases constitutionnelles en construction. La thèse du pluralisme institutionnel, dont le pouvoir réglementaire est le rejeton inévitable, revient en force pour l’occasion, l’auteur ayant eu notamment l’occasion d’inaugurer les discussions sur le problème lors d’un colloque à Angers sur l’élaboration du statut de la fonction publique territoriale (1983) et dont on peut relire les échanges, qui ont été d’un très haut niveau d’analyse normative (J.-M.Auby, M.Bourjol J.-C.Douence et L.Favoreu), dans les Cahiers du CNFPT.
Le rattachement à Duguit se fait, bien évidemment, par le biais du service public. La construction de Duguit sur le but de service public, et selon laquelle l’Etat et son administration ne se trouvent pas dans une situation particulière du fait de leur souveraineté mais plutôt par le but assigné à leur action et poursuivi par les agents publics était une option susceptible d’être entendue par Jean-Claude Douence. En ce sens, leur positivisme solidariste les rapproche, c’est-à-dire un positivisme qui va jusqu’à utiliser le contenu social, moral et juridique du principe solidariste et qui fait que la règle de droit ne doit jamais être vue comme une fin en soi. Encore une fois, ce qu’il a écrit sur le principe d’égalité devant les services publics et sur la clause générale de compétence des collectivités peut être sollicité pour en fournir l’illustration concrète. Mais cette précision est importante : si sa recherche reprend l’héritage « des frères ennemis de la doctrine publiciste » (O.Beaud) c’est toutefois avec cette réserve importante que tout ce qui s’écarterait du droit positif – au sens où nous l’avons précisé – et s’abandonnerait à une orgueilleuse construction théorique ne mériterait, à ses yeux, qu’une considération distante sans doute car une telle construction risquerait d’éloigner le chercheur du fond des choses qui seules méritent l’attention. Il reste que les deux auteurs sont les précurseurs du droit administratif moderne et qu’il y a chez Jean-Claude Douence un droit administratif rattaché à ces deux auteurs, nourri à ce double tropisme de la puissance publique et du service public. Encore une fois, la large place laissée au réglementaire dans le sort de l’usager du service public industriel et commercial ainsi que dans la concession de service public (illustration par l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 déc. 1906, Syndicat des propriétaires du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli, commenté par M.Hauriou et dont une requête de L.Duguit fût à l’origine) était un point d’importance majeure dans la doctrine de chacun de ces auteurs.
La tâche dans laquelle je me suis engagé se réduirait à un exercice protocolaire, extérieur, si elle n’était pas nourrie d’un portrait personnel que l’amitié et l’admiration que nous éprouvions tous à son égard commande d’évoquer. Sa réserve naturelle n’excluait pas l’humour. Sa lucidité et son intelligence lui permettait même de s’exprimer de manière tranchante. Il y avait chez lui une parenté entre la science et l’esprit qui se révélait par cet humour. Cet homme sérieux, toujours dans le contrôle de lui-même, n’avait pas son pareil pour manier le paradoxe, l’ironie. A la copie d’un étudiant dont la phrase d’attaque énonçait « retracer toute l’histoire du droit administratif serait fastidieux », il avait répliqué dans la marge « surtout avec une telle écriture ! ». Et cette ironie, il la pratiquait plus ou moins de manière permanente car c’était une tournure naturelle d’esprit et de présentation chez lui. J’ai le souvenir de cette remarque de Franck Moderne qui l’avait plongé dans l’allégresse parce qu’elle prenait le contre-pied de l’opinion générale sur la nature industrielle et commerciale du service public de distribution de l’eau et d’assainissement après la rédaction de l’article L.2224-11 du CGCT issue de la loi de finance pour 2007 : « Si « les services publics d’eau et d’assainissement sont financièrement gérés comme des SPIC » c’est qu’ils n’en sont pas ! » ; ironie qui ne manquait pas de clairvoyance sachant d’une part que le service d’assainissement pénalise financièrement les propriétaires non raccordés au réseau, prérogative de puissance publique qui n’est normalement pas dans le pouvoir d’un SPIC et, d’autre part, qu’il n’est pas interdit pour un SPA, fut-ce exceptionnel, de se rémunérer au moyen de redevances commerciales (camping par exemple). Cette ironie qu’il aimait n’était donc pas un sarcasme qui viserait à détruire avec un esprit de condamnation. Au contraire, de manière bien plus intéressante, elle lui permettait de mieux dévoiler les réalités, de mieux accéder au fond des choses, et de s’y livrer de manière tranchante. C’était ce besoin d’accéder au fond des choses qui faisait que Jean-Claude Douence n’était jamais dans les faux-semblants, les idées toutes faites et les présentations partagées dans le cadre des mondanités universitaires. Et le droit qu’il décrivait n’était pas celui qu’il trouvait dans les ouvrages de ses contemporains. Il était plutôt dans la construction personnelle des idées où venaient prendre leur place les vérités, les éclairs de lucidité et la curiosité pour tout ce qui l’intéressait et, au premier chef évidemment, ce droit des collectivités locales dans ses moindres recoins. Parce que si sa force venait de ces éclairs, ces éclairs étaient préparés par une parfaite connaissance des sujets qu’une très grande puissance de travail rendait possible. La lecture de sa thèse suffira à s’en convaincre.
Quant à sa communication, elle n’était pas formelle, pas verbale. Elle était substantielle : il fournissait à ses interlocuteurs la substance de sa réflexion construite sur ses jaillissements de lucidité toujours avec cette réserve de profondeur et d’analyse. Cette communication n’était pas inépuisable non plus. Associé à son équipe de chargés de travaux dirigés, j’ai le souvenir que son réflexe consistant à appréhender le droit à ses contradictions le conduisait à nous présenter un sujet d’emblée à partir de ses points névralgiques. Autant dire que pour s’assurer de le suivre il fallait s’en donner les moyens et posséder une assez bonne maîtrise préalable des éléments de ce sujet. Mais après une année d’enseignement du droit public économique, il ne restait plus grande chose des certitudes ou des espérances sur lesquelles s’était établi cette pauvre discipline. Ainsi, la planification ne pouvait engager l’avenir puisque la loi peut toujours défaire ce qu’elle a faite et que les engagements financiers de l’Etat ne valent pas au-delà d’un an, la distinction entre marché public et concession et les impasses du critère financier, la délimitation du secteur public qui ne peut guère s’apprécier qu’au regard des contraintes supérieures du droit constitutionnel… A travailler à ses côtés on n’acquiert pas seulement un savoir mais une formation véritable de chercheur en droit. Et ce constat est trop important pour moi pour ne pas le confier : j’ai eu la chance d’avoir croisé sa route. Mais, d’une certaine manière, nous sommes tous ses disciples car il aura contribué, par son travail et son talent, à offrir ses lettres de noblesse à notre discipline d’élection pourtant encore insuffisamment considérée aujourd’hui. Cet hommage était évidemment l’occasion de se remémorer ce qu’il nous a apporté. C’est précisément le moment de lui en être reconnaissant, réunis ensemble à l’occasion de ce nouveau congrès annuel de l’AFDCL et de lui dire merci pour avoir dispensé, avec le naturel qui était le sien, sa connaissance du droit des collectivités locales que nous tenterons de poursuivre et de transmettre avec nos modestes moyens.
B.Faure